Cube jazz |
Quand craque le jour quand le coeur se fait ventre quand le monstre s'assied à ma table avec rien dans les yeux que l'eau de ma misère je renonce à me mettre à jamais dans les mots dans le mot femme dans le mot fruit Je mets un grand cube devant moi comme dans les toiles de Magritte un cube d'air que personne ne voit un cube aux arêtes de miroir beau comme l'esprit de géométrie beau comme un coeur enfin qui serait son absence Et j'y mets un premier nègre un nègre aux doigts de gomme sèche qui joue de la contrebasse et s'appelle Charlie Mingus Et j'y mets un second nègre qui va mourir pour avoir piégé trop tôt les dieux comme des pies à la glu de son saxophone et qui s'appelle John Coltrane Et j'y mets un troisième nègre qui n'est pas nègre mais seulement l'escalier stupéfiant du blues que monte et redescend selon les rigueurs secrètes de l'alcool l'ami blanc qui se met au piano en dépit d'une main gauche dont Thélonius Monk n'assurerait pas qu'elle sort de sa maîtrise mais dont la voix retrouve au bout de la nuit de chênes verts le chant profond des viscères humains où dormait l'âme où s'éveille un dieu Et j'y mets un quatrième nègre qui est la nuit même que je porte mais les drums diront-ils jamais là o un Lionel Hampton exorcise une liberté menacée d'anarchie la pervenche la noix vomique et le kola que fleurit l'arbre de mes veines? D'architecte de l'invisible ne cherche rien d'autre, passant, qu'un oiseau multicolore: sa mort la tienne |