Ce que je sais de Guy Chambelland
par Claude Vercey
Ç Je vais te dire : pendant mes quelque 25 annes de Midi, de
63 86, jĠai reu ma table des centaines de potes. AujourdĠhui je sais que
je nĠaurais pas d en recevoir un quart.
QuĠest-ce quĠon apprend donc en vingt cinq ans
sur les potes ?
JĠai dcouvert (pour environ les trois quarts) les
divisions, les vachardises, la jalousie, la suffisance, la mgalo et mme
parfois la franche (enfin...je veux dire : indubitable) putasserie.
LĠarrivisme gal au politique, et tout de mme en plus ridicule parce que le
bout du chemin est drisoire. JĠai appris que, plus des ¾ le pote est
un parfait inconscient de son environnement social. LĠgotisme majeur :
alors que sa drliction par la socit devrait le conduire lĠunion, il
fabrique de la chapelle, du groupuscule. 9 fois sur 10, le pote sĠavre
lĠanti-syndicaliste type. È
Dcharge nĦ76 (Janvier
94)
Guy Chambelland sĠentretient avec Claude Vercey
.
Je dois beaucoup Guy Chambelland. Il a t mon premier diteur ; jĠai par la suite t un lecteur attentif et convaincu du Pont de lĠEpe, avant dĠy apporter ma contribution en tant que critique pisodique. Guy Chambelland et le Pont de lĠEpe ont fait, en quelque sorte, mon ducation potique. Nos relations ont chang lorsque il est venu sĠinstaller Cerisiers : cette poque, jĠavais professionnellement dvelopp mon action potique en Bourgogne et mon implantation locale et rgionale tait relle. JĠessaierai de mettre mes ressources et mes relations son service, avec peu de succs comme on le verra. Cette remarque orientera mon intervention, o jĠessaierai dĠindiquer pourquoi mon sens Guy Chambelland nĠest pas devenu le Seghers de notre gnration, personnage auquel il se rfrait souvent par admiration et par dpit. Ceci dit, ma contribution sera surtout de lĠordre du tmoignage : sans tre un de ses familiers je lĠai accompagn sur de longues annes et jĠirai jusquĠ me vanter de ne mĠtre jamais brouill avec lui, mme provisoirement.
1- Pote dit
Nous avons, Guy Chambelland et moi, un point commun qui aurait pu dcider de notre rencontre : nous sommes tout deux ns Dijon. Mais Dijon, alors que je commence srieusement mĠintresser la posie, disons partir de 1965, on ne parle gure de Guy Chambelland, install lĠpoque dans le Gard, la Bastide dĠOrniol. En 1969, jĠenseigne le franais en Guyane et ma source dĠinformation est le Magazine littraire, dĠaprs lequel jĠapprends que les deux revues de rfrence sont Ç le Pont de lĠEpe È et Ç Action potique È. Je mĠabonne donc ses revues, et je propose assez vite, comme tout jeune pote, des textes. Rponse de Chambelland : Ç Votre pre nĠest-il pas arbitre de basket ? Je lĠai connu sur les terrains de sport Dijon... È. Anecdote, oui – mais le fait est que Chambelland tait trs fier dĠtre Ç moniteur de basket (diplm FFBB) È, il le faisait figurer dans ses biographies et je pense quĠon pourrait, du sport la posie, transposer sa position dĠarbitre, qui me semble tre une position que volontiers il adoptait. Son amour du sport explique aussi, en partie je crois, le numro si surprenant de Ç Montherlant pote È, o cet auteur est surtout considr comme pote du sport, des Olympiques ; et dans ce numro Chambelland va jusquĠ dresser des comparatifs entre pomes sportifs pour dsigner les auteurs qui cernent le mieux la ralit du sport.
Un point que je voudrais souligner : je crois que lorsque jĠentre en contact avec Chambelland, cĠest--dire deux ans aprs le numro fondamental des Ç 10 ans de sensibilit potique È il va atteindre socialement ou du point de vue mondain, le point le plus haut de sa trajectoire : il va occuper alors la place de critique littraire pour la posie dans le Magazine littraire pendant deux ans, il est en passe de devenir visible et crdible ; mais on sait quĠil ne pourra sĠempcher dĠy produire un texte trs critique sur Ren Char, et se fera jeter de la publication la suite. Une force de sduction de Guy Chambelland, en mme que sa vulnrabilit, est son refus de prendre en considration les rgles du milieu, de respecter les hirarchies imposes par les Ç grands diteurs È : Chambelland aime lĠimprudence, la provocation, la polmique mme sĠil sĠen dfend, surtout quand il est en infriorit ou donn perdant par avance.
JĠai t dit par Guy Chambelland. Deux livres, le second – lĠEtrangre – mĠa permis de recevoir les quelques signes de reconnaissance quĠattend un jeune auteur, grce – il faut le dire – lĠentregent de mon diteur. Et bien que ce livre, comme le premier, ait t dit compte dĠauteur. Ce point est sensible, mais il ne doit pas tre pass sous silence : Chambelland ditait une bonne partie de ses auteurs compte dĠauteur et il ne le cachait pas, en cela il poursuivait ses yeux et pour des raisons conomiques quĠil expliquait souvent, une tradition de lĠdition, de Proust ou de Rimbaud en tant quĠauteur Seghers en tant quĠditeur. CĠest pourtant une des raisons de son divorce avec la nouvelle gnration dont lĠun des combats fut la lutte contre le racket du compte dĠauteur, reprsent surtout par de officines, nouvelles lĠpoque, du type Ç la Pense universelle È, qui exploitait la crdulit et lĠignorance des aspirants crivains. Dans ces annes qui suivaient 1968, la lutte contre le compte dĠauteur, que reprsentait surtout lĠassociation du Calcre, tait assimile au combat contre le capitalisme. Le compte dĠditeur fut une des exigences de la nouvelle gnration, elle conduisit les lments les plus consquents avec eux-mmes crer de nouvelles revues, se faire eux-mmes diteurs selon cette rgle imprative.
La diffrence entre Chambelland et les pseudo – diteurs comme Ç la Pense universelle È tait quĠil dfendait et poussait autant quĠil le pouvait les livres quĠil ditait. Pour ce qui me concerne, un fort ensemble de Ç lĠEtrangre È fut repris dans le numro 54 du Pont de lĠEpe avant de figurer dans lĠAnne potique 1975, puis lĠAnthologie de la Nouvelle posie franaise de Delvaille chez Seghers ; et pris en compte par Robert Sabatier dans son Histoire de la posie franais, qui a contrario ne mentionne nullement mes livres compte dĠditeur qui avaient suivi. CĠest souligner combien, quelles que soient ses pratiques, Guy Chambelland avait une influence sur le milieu potique et en faisait bnficier ses auteurs.
A noter que cette pratique du compte dĠauteurs lui sera toujours reproche, mme aprs sa mort et alors que son catalogue pouvait tout de mme tmoigner de lĠimportance de son travail : en juin 2001, un hommage posthume lui est refus au March de la Posie de Paris.
2 – Les annes du Pont
Ç Nombreux certainement les potes qui, sur la route des vacances, sont alls saluer Guy Chambelland la Bastide dĠOrniol, tout en haut de Goudargues È, notait Serge Brindeau dans La Posie contemporaine de langue franaise depuis 1945 (Ed. St Germain des prs.) JĠy suis all quelques fois. La seconde, je me souviens, Louis Dubost, qui fondera les Editions du D Bleu, lesquelles, dĠun point de vue esthtique, se situe dans la ligne de Guy Chambelland, mĠaccompagnait : on entrait au Pont par cooptation ou compagnonnage : compagnons de la Table ronde...
Ces annes du Pont taient aussi
Ç les annes Tel Quel È. JĠai voqu lĠaffrontement de Chambelland et
de Tel Quel dans le numro 113 de la revue Dcharge
(mars 2002) en mĠappuyant grandement sur des notes prparatoires de Francis
Darbousset. Je renvoie cette tude. Il est curieux de constater que le Pont
de lĠEpe comme Tel Quel
cessrent leur activit la mme anne, en 1983. Pour rappeler lĠantagonisme,
ouvrons le Magazine littraire de Dcembre 1970 (NĦ
47 : O en est la posie franaise ?) : face face, Jean Luc Steinmetz ( ÒLa rsistance qui sĠoppose Tel
Quel ... vient dĠun dernier effort de la posie,
incapable de penser sa fin en tant que pointe mystifiante de lĠidalisme et
refuge dernier de lĠintriorit mystifianteÓ - Allez donc !) et Guy Chambelland
: ÒJĠappelle posie le prcipit, en ce quĠil est convenu dĠappeler pome
(ft-ce, et peut-tre surtout, en prose) dĠune sensibilit gnrale ( quĠon le
veuille ou non, la posie nĠest faite que de lieux communs : mort, amour,
nature, Dieu ) et dĠune criture originale. CĠest la combinaison de cette
gnralit et de cette particularit qui constitue mon unique critre de la
qualit potique. (...) Le pome est le lieu gomtrique des sens et de la
conscience, du paratre et de lĠtre.Ó LĠarticle de J.L Steinmetz sĠintitulait
ÒLa mort de lĠauteur de droit divinÓ ; celui de Guy
Chambelland : ÒSensibilit avant toutÓ. Les
oppositions taient clairement dfinies.
Un moment particulier dont je fus tmoin la Bastide dĠOrniol, celui de la cration de lĠAssociation du Pont de lĠEpe, (hors Edmond Humeau, dont on plaisantait la nouvelle pile cardiaque, je ne me souviens plus de qui tait prsent. Rien que des hommes, toutefois) qui ne marque certainement pas la conversion de Chambelland une animation collective de ses ditions, mais tait bel et bien une manÏuvre, sinon pour chapper au fisc, du moins pour diminuer les charges, en particulier de TVA. Les activits entre membres dĠune association ne sont pas soumises TVA, rappelons-le ; et lĠartifice quĠavait invent Guy tait que les auteurs quĠil ditait ( compte dĠauteurs donc : les auteurs payaient) devenaient automatiquement membres de lĠassociation si bien que ses ditions auraient d chapper cette taxe. Cet artifice, un peu naf il faut bien le dire, fit long feu. Dans une lettre Louis Dubost que jĠai publie dans Dcharge 113 (p 77), il se plaint dĠtre poursuivi par le fisc qui Ç lĠassimile une socit de commerce È et lui rclame des arrirs dĠimpts. A la suite de quoi il dclare Ç renoncer : dĠo disparition du Pont de lĠEpe È. Au moins, la cause de la fin du Pont est-elle franchement pointe : elle est financire.
3 – Cerisiers
Le Pont de lĠpe sĠinterrompt ; trois ans plus tard, Guy Chambelland sĠinstalle Cerisiers, une poque sĠachve. Cette installation Cerisiers est motive selon ses dires par le dsir de revenir en Bourgogne, de demeurer la campagne tout en tant le plus prs possible de Paris et de la librairie de la Rue Racine. Il dit galement sa lassitude de polmiquer, la nouvelle revue du Pont sous lĠeau nĠest en effet pas voue cet exercice, mme sĠil ne peut sĠempcher, dans le nĦ 6, de monter le ton propos de lĠaffaire Marc Patin, affaire qui vient de faire lĠobjet dĠun livre qui lui doit beaucoup : de Christophe Dauphin, aux ditions de la Librairie Racine, justement.
Il est toujours en prise avec des problmes financiers. Je plaide sa cause auprs de la Direction Rgionale des Affaires Culturelles, du Dlgu au Livre de lĠpoque qui mĠaccorde une oreille des plus favorables. Nous nous rendons donc, Guy et moi, la Drac de Dijon, o il est cout avec attention, o surgi au moment de se quitter une bouteille de Montagny, qui transforme ce rendez-vous en un vnement des plus mmorables. Je sors de cet entretien tout fait persuad que les ditions de Guy Chambelland seront cette fois aides : il nĠen sera rien, Chambelland se refusant faire quelque demande que ce soit (car une aide doit tre demande..), se campant dans une attitude de pre noble : Ç Que lĠon consulte mon catalogue, il suffit pour plaider en ma faveur, etc... È. Cela me rappelle un autre de ses mots, plus anciens, que jĠai dj rapport : Ç De plus en plus on me prend pour une lgende.È La lgende ne condescendra pas aux affaires du quotidien. Si ! Un jour, il mĠapprend quĠil sĠest dcid crire ... : il a crit au maire de Dijon, Robert Poujade lĠpoque, qui nĠavait videmment rien voir avec notre prcdent rendez-vous. Pour parler un langage familier, sur certains points Guy Chambelland planait!
En fait, je serai utile aprs sa mort : en trouvant un diteur (ce sera la Bartavelle, alors installe Chteau-Chinon, - la ncessit tait que cet diteur ft bourguignon) pour lĠIre de la Rame, anthologie de ses vers rims que lĠon dcouvrit aprs sa mort et qui fut publie grce lĠaction de Jean Franois Bazin, alors Prsident du Conseil Rgional ; en provoquant une manifestation dĠhommage (exposition et lecture) la Bibliothque municipale de Dijon en 1997. Depuis, ses Ïuvres sont entres la Bibliothque Universitaire de sa ville natale, et la lecture Ç JĠessaie simplement dĠexister È est au catalogue de lĠassociation Impulsions, que jĠanime. Ce qui tait si difficile de son vivant, lĠaider, est devenu, dans la mesure de nos moyens, possible aujourdĠhui.
Claude
Vercey